Au secours, les très très méchants reviennent ! En ce jour anniversaire de l’édit de Tolède du Grand Inquisiteur, en date du 23 septembre 1525 et condamnant la secte des Illuminés (des libertins spirituels), voici notre avis après avoir vu l’intégralité des 8 épisodes de la saison 3 d’Ainsi soient-ils, en exclusivité mondiale. Et comme il est tout le temps question de sexe – mot qui ne nous fait pourtant pas peur, bien au contraire ! – on n’est pas loin de la secte précitée. Bref, on vous aura prévenu ! Et attention, spoilers…
L’impression que peut avoir toute personne connaissant bien l’Eglise catholique, au sortir de ces 8 épisodes, est la suivante : le réalisateur et ses scénaristes n’ont pas tiré leçon des deux précédentes saisons. Les clichés sont tout aussi nombreux et les ficelles du scénario sont si grosses pour les soutenir qu’elles ressemblent désormais à des câbles transatlantiques ! Regarder ces épisodes a été pour nous une vraie torture sado-masochiste… (et heureusement que ce site existe ! ). Ce n’est pourtant pas faute d’avoir cherché à rencontrer l’équipe des scénaristes, comme nous l’avons récemment raconté dans cette réponse ouverte au co-scénariste David Elkaïm…
Ainsi, les luttes de pouvoir sont terriblement atroces, les « hommes d’Eglise » ne se faisant plus aucun cadeau, pire que dans n’importe quel thriller (mais ne venez pour pas ça). On se croirait dans une transposition pure et simple de nos campagnes électorales, mais dans un décor religieux, en mode western : ça se tire dans les pattes dans tous les sens ! A quand la prochaine exécution sommaire sur l’autel des apparences ? L’organisation secrète Omega, avec des noms de codes débiles pour ses membres – comme « Lambda » pour l’archevêque de Paris et qui demande à en changer – s’en donne à coeur joie (visiblement, les scénaristes se sont bien amusés). Jusqu’à bien sûr, l’élection d’un nouveau pape – le plus conservateur et pénible possible – avec zoom sur la fumée blanche, le précédent étant devenu trop sénile pour vivre – et avec tout ce que cela implique comme intrigues hautement vaticanesques dans les couloirs de l’Eglise !
Où sont les vrais hommes d’Eglise ?
Au sortir de ce véritable cauchemar pour qui attendrait un peu d’humanité, bien digne de la Sainte Inquisition espagnole, on se demande ce qu’est véritablement un homme d’Eglise. Au fait – simple question, comme ça, au passage – quel véritable rôle ont donc joué les conseillers prêtres de la série, tel le Père Jean-Emmanuel Gouze, du diocèse de Nanterre, présent au générique ? Où ceux, plus discrets, qui ont rompu leurs voeux mais qui veulent tout de même dire quelque chose de leur ancienne « épouse » ? Car même si l’équipe de la série se vantent à longueur d’interviews d’avoir rencontré de nombreux prêtres, on ignore toujours le nom de tous ces conseillers de l’ombre qui ont si bien guidé les scénaristes !
Ainsi, Ainsi soient-ils manque cruellement de subtilité et n’apporte qu’une vison très parcellaire et caricaturale de la prêtrise et de l’Eglise de France, loin des réalités d’aujourd’hui. Ainsi, l’impasse est totalement faite, d’un bout à l’autre de la série, sur l’ampleur actuelle des manifestations d’Eglise, comme par exemple les festifs rassemblements de jeunes que sont le Frat (12.000 jeunes à Jambville 2015 sous un grand chapiteau), des scouts (15.000 scouts de France à Strasbourg l’été dernier), les foules rassemblées à Lourdes ou les prolifiques sessions de Paray-le-Monial (30.000 pèlerins l’été dernier), sans parler des JMJ (3 millions de jeunes à Rio en 2013)… Pourquoi ?
Temps grisâtre
Par ailleurs, comme si l’Eglise c’était quelque chose de triste, il pleut tout le temps ! Les intérieurs sont sombres, comme au royaume des ténèbres. Certains curés n’ont d’intérêt que pour les passionnantes chasses aux souris de leur presbytère, explications sur l’utilisation des tapettes inclues. On grelotte et les églises restent désespérément vides. Même à Noël, où, pourtant d’ordinaire, dans la réalité, elles font le plein (il faudrait cependant que les auteurs de la série y aient mis les pieds à une telle occasion !). Et tant qu’à faire, on démolit ces églises, comme si devenait une généralité. C’est le cas de celle où Guillaume, devenu prêtre, a été affecté par punition : il le découvrira tranquillement le jour de la visite des démolisseurs, avec gros plan sur le grand Christ qu’on embarque. Et pour faire bonne mesure, on prête aussi ces églises aux musulmans, davantage pour souligner l’absence de fidèles que dans un souci de dialogue inter-religieux, comme si soudain les lieux de culte devenaient, comme par magie, interchangeables (lire notre article à ce sujet).
Des longueurs sur une musique lancinante
Il y a également beaucoup de longueurs, rendues plus agaçantes encore par les notes lancinantes du piano de Jean-Pierre Taïb. Parfois même, on pourrait trouver cela digne de veilles séries américaines… Minuit, l’heure du crime… tandan !!! Cependant, on reste sur notre faim lorsque Guillaume pénètre dans son église abandonnée sur les paroles du chant Ame du Christ, mais sans musique, ou, de façon plus « étrange » encore, Soeur Antonietta fait sa déclaration d’amour au Père Abel avec les paroles de la prière de Charles de Foucault… Père, mon père, je m’abandonne à toi… ambiance ! Il faut dire que certaines communautés catholiques ont tout simplement refusé à Arte l’utilisation de leurs chants pour Ainsi soient-ils… et on les comprend !
Vacuité des dialogues
Les dialogues de cette saison 3 sont assez plats (à de rares passages près). On est très loin des belles homélies du Père Fromenger comme directeur du séminaire en saison 1 (raison pour laquelle, peut-être, elle avait eue une bonne audience ? – qui s’est largement effritée depuis). Cependant, un cap a été franchi dans certaines déclarations de nos acteurs. Ainsi, lorsque dans la saison 1 ou 2, quelques pincettes étaient encore prises pour décrire par exemple, le Vatican, ici, en saison 3, on entend explicitement dire qu’il n’y a « plus personne de valeur » au siège apostolique (cf la bande-annonce). Le nom du cardinal Bergoglio est explicitement cité, tout comme la chaîne KTO : en effet, l’affreux arriviste Père Abel y tient une chronique quotidienne ! Enfin, mention spéciale à la sacristine du Père José (présentée au dossier de presse), absolument antipathique (mais il y a-t-il un seul catho sympa dans cette série, au fait ?), tandis que les religieuses sont de vraies cruches (mention spéciale à la scène des mouchoirs lorsqu’elles apprennent la mort du pape, largement surjouée).
Une thèse inchangée
La thèse de la saison 3 reste également la même, inexorablement, que lors de la saison 3 : les prêtres devraient pouvoir se marier. Et pour forcer le trait, comme pour s’en convaincre, s’y ajoute un scandale de pédophilie bien entendu couvert par la hiérarchie de l’Eglise. Comme on s’y attendait ! D’ailleurs, l’équipe l’a reconnu, c’était prévu depuis le début…
Et bien sûr, nous retrouvons le responsable Internet de la CEF – une pensée pour tous les geeks cathos – qui s’émeut que Guillaume, devenu prêtre, couche encore avec son ex-séminariste, à qui il rend régulièrement visite, dans sa garçonnière en ville et dont il a la clef. Celui-ci finit par le plaquer en lui disant : « Ok d’accord, c’était le contrat, mais moi ça me tue que je ne puisse même pas te prendre la main en public ». Quant à Yann, devenu prêtre (Julien Bouanich), il garde un rôle naïf, embrassant puis répudiant tout à tour la belle Geneviève de la saison 1, laquelle ne sait plus à quel saint se vouer… sauf à prendre des cours de Yoga. Vraiment, que l’Eglise est ringarde à ne pas accepter le mariage des prêtres ! Ce serait tellement plus simple… !
Enfin, José – le seul prêtre à peu près crédible – se bat pour qu’un jeune des banlieues qu’il a accueilli au presbytère pour lui éviter la maison d’arrêt, soit intégré dans sa paroisse, mais ce garçon est bien sûr exclu pour une affaire de vol, sans aucune pitié des paroissiens-tous-méchants sous la férule de la sacristine.
Enfin, les prêtres rasent les murs et les déjeuners sont encore un peu trop ambiance « chaussée aux moines » pour y croire vraiment. Qu’importe, le réalisateur a eu beaucoup de plaisir à tourner, ils ont vécu « quelque chose de rare » (La Croix du 11 septembre 2015), n’est-ce pas cela l’essentiel ?
Manque cruel de réalisme
C’est donc encore par manque de réalisme que pêche cette série qui se veut pourtant « culte », comme Arte l’indique (à défaut, cette année, d’être encore une « Bible », ou un « miracle » ? ;-). Est-ce donc le sort de toute série française lorsqu’elle parle de religion, comme Inquisitio en 2012 ?
Une vision dépassée des défis de l’Eglise aujourd’hui
Enfin, dans Ainsi soient-ils, les défis de l’Eglise aujourd’hui se résument au combat dépassé progressistes contre conservateurs. Si depuis les années 2000, il s’agit plutôt, pour les catholiques du vieux continent, d’être fonctionnaires ou missionnaires, jamais, dans Ainsi soient-ils, il n’est question de l’expérience d’une rencontre personnelle avec le Christ, ni encore pire, de la joie d’être chrétien (comme nous le regrettions déjà dans l’Obs en 2012). Rassurez-vous : le but des scénaristes n’était pas d’être réalistes, mais de camper des relations humaines, nous ont-il expliqué par e-mail : l’Eglise, bien entendu, n’est qu’un simple prétexte. Comme pour le Da Vinci Code, suffisait-il encore d’écrire « fiction » sur la couverture pour raconter n’importe quoi ? Il fallait donc bel et bien rêver pour entendre parler d’évangélisation, mission première de l’Eglise, et dont il est pourtant principalement question aujourd’hui avec le pape François. Celui-ci vient justement de lancer une année de la miséricorde, cet amour de Dieu plus grand que tout, à partager avec d’autres. Mais cela est une tout autre histoire, qui demande bien plus de rigueur !
Conclusion… enfin !
Extrait d’un dialogue au dernier épisode : « progressiste, c’est un mot, un épouvantail, l’Eglise est mal en point, presque moribonde, vous en connaissez-vous d’autres qui veulent que ça bouge ? vous savez le mariage des prêtres, quand on y pense bien, ce n’est pas si absurde que ça ». Outre tous ces clichés idéologiques, cette saison 3 est donc tout simplement mortelle, aussi rasoir que les prêtres y rasent les murs ou que la chasse aux souris. Si toutefois vous y jetez un oeil, vous en ressortirez plutôt avec l’envie de ne jamais aller avoir un prêtre (surtout si vous avez un problème de couple, exemple à l’appui, car de toute façon les prêtres ne peuvent pas s’y connaître, c’est bien connu !). Il n’y a donc rien à prendre ou presque dans cette saison 3, manifestement encore téléguidée par d’autres aspirations que de montrer un visage réel de l’Eglise aujourd’hui, des aspirations des jeunes hommes qui veulent donner toute leur vie à Dieu – comme ils en témoignent pourtant sur ce site – ou plus simplement de l’art de vivre chrétien. Pour cela, il faudra repasser. Et attendre une autre série ?
Allez, les gars, sans rancune !
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